Le plomb est un métal lourd très rependu et très utilisé dans divers procédés et produits manufacturés dans le monde depuis plus de sept mille ans. Bien que très utile, il reste dangereux pour la santé humaine et environnementale. Il peut affecter divers organes et systèmes du corps humain, même à des doses relativement faibles. Il est particulièrement toxique chez les enfants et les femmes en grossesse. En 2019, l’OMS a estimé que « près de la moitié des deux millions de vies perdues à cause de l’exposition avérée aux produits chimiques étaient dues à l’exposition au plomb ». Dans l’environnement, ce métal lourd peut s’accumuler dans divers milieux et est toxique pour la faune, la flore et les microorganismes. L’intoxication au plomb qui donne le saturnisme chez l’Homme est un enjeu important de santé publique. Pourtant, ce danger reste méconnu des populations, surtout en Afrique où les initiatives publiques de contrôle de la pollution et de l’exposition des personnes restent balbutiantes.
Au Burkina Faso et ailleurs en Afrique, le plomb est connu depuis longtemps, mais sa présence s’est accrue depuis quelques décennies. En effet, l’augmentation importante du parc des véhicules automobiles et motocyclettes utilisant des batteries, ainsi que le développement des micro-installations de production d’énergie solaire avec accumulateurs a entrainé l’augmentation de la quantité de plomb en circulation. Cette situation a entrainé l’émergence de nouvelles filières commerciales pour le plomb de récupération. Dans les quartiers populaires de Ouagadougou et de nombreuses villes africaines, il est fréquent de rencontrer des acheteurs de batteries électriques usagées et d’autres appareils électroniques. Ces personnes qui font du porte-à-porte pour collecter les batteries et autres appareils sont souvent des enfants.
De prime abord, l’essor de la filière de recyclage devrait contribuer à limiter la contamination de l’environnement par le plomb abandonné. Néanmoins, des questions se posent sur l’impact des procédures de collecte, de traitement, de stockage et de transport sur la pollution environnementale ; des cas de pollution et d’intoxication des travailleurs et de personnes proches de sites concernés par cette activité ayant été enregistrés dans plusieurs pays d'Afrique.
Si l’utilisation de l’essence au plomb semble appartenir au passé, l’emploi de peintures au plomb dans le bâtiment est encore largement répandu en Afrique. La poussière et les écailles de ces peintures dans l’environnement domestique constituent une source d’exposition, surtout pour les petits enfants. L’incinération à ciel ouvert des déchets ménagers est courant dans certains quartiers précaires des grandes villes en Afrique et constitue une autre source d’émission de plomb dans l’environnement et un risque sanitaire pour les habitants proches. Notons aussi que certains cosmétiques, certains jouets pour enfants, certains contenants alimentaires ou certaines pièces de plomberie contiennent du plomb et constituent des sources d’exposition.
L'intoxication peut survenir de multiples façons. Les particules du métal peuvent être inhalées à partir de sources de combustion lors de l’extraction, du recyclage et des incinérations. Elles peuvent aussi être ingérées lors de la consommation d'aliments, d'eau ou de sol contaminés. Enfin, l’absorption peut se faire par voie cutanée lors du contact manuel avec le métal ou à l’occasion de l’utilisation de certains cosmétiques.
Le plomb est dangereux pour toutes personnes. Cependant, il est particulièrement préjudiciable pour les enfants chez qui l'absorption est 4 à 5 fois supérieure à celle des adultes. Les femmes enceintes en sont aussi vulnérables du fait de ses effets néfastes sur le développement du fœtus. Bien que des cas aigus aient été décrits, l’intoxication au plomb se fait principalement sur un mode chronique, aboutissant au saturnisme qui se manifeste par divers troubles cliniques et biologiques. On peut citer, entre autres, les signes neurologiques comme l’irritabilité, les troubles du sommeil, le retard intellectuel, les céphalées, les vomissements, la somnolence, les troubles de l’équilibre, les convulsions et le coma pouvant aboutir à la mort. L’intoxication peut aussi conduire à l’insuffisance rénale chronique, à l’hypertension artérielle, à l’anémie chronique, à la baisse de la fertilité et éventuellement à des cancers.
Bien que les données sanitaires sur le saturnisme en Afrique soient encore insuffisantes, plusieurs estimations suggèrent que la situation pourrait être très problématique, d’où l’intérêt de mener des recherches afin de mesurer et caractériser la menace. Il est devenu clair qu’il s’agit d’une question de santé publique pressante qui ne peut plus être ignorée, et qui nécessite une prise de conscience accrue et des actions concrètes pour réduire le risque à tous les niveaux.
La protection de la santé et de l’environnement passe par la réglementation, la surveillance, la sensibilisation et le renforcement des systèmes de santé. Il est nécessaire que les pays Africains souscrivent aux initiatives mondiales ou régionales de lutte contre la pollution au plomb. Ils doivent aussi travailler à définir des valeurs seuils de pollution au-delà desquelles des actions de dépollution et de protection active des populations doivent être faites. Les filières professionnelles d’extraction et de recyclage du plomb doivent être encadrées pour éviter la pollution et veiller à ce que les travailleurs exposés respectent des normes de sécurité au travail pour la protection de leur santé. Des programmes de surveillance doivent être mis en œuvre pour suivre régulièrement la teneur du plomb dans différents milieux (air, eau de boisson, aliments, produits cosmétiques largement utilisés) et autour des sites sensibles, et aussi surveiller la plombémie (teneur du plomb dans le sang) des populations. Des actions de communication doivent être entreprises pour sensibiliser les décideurs et les populations sur le problème. Enfin, il faut former les agents de santé et renforcer les capacités de diagnostic et de prise en charge des intoxications au plomb par les établissements de soins.
Les efforts mondiaux et les initiatives internationales pour contrôler et éliminer la pollution par le plomb comme l'interdiction du plomb dans les peintures et l'essence, montrent la voie à suivre. L'importance de poursuivre la recherche et l'élaboration de politiques pour combattre cette menace persistante ou émergente sont indispensables pour tendre vers une situation où ce fardeau lourd comme du plomb ne pèsera plus sur les épaules des générations futures.
Par Dr Amadou Ouedraogo